Buts d’un mathématicien
En juin 1970 Pierre Samuel publie dans le numéro 2 de la Gazette des mathématiciens (p39-46), organe de liaison de la SMF (Société mathématique de France), récemment créé, un article intitulé « Les buts d’un mathématicien ». Il y discute si la finalité d’un mathématicien doit être les mathématiques, les mathématiciens, ou la société. C’était une façon de répondre à l’avance aux débats qui se tenaient encore, les années qui suivirent mai 68, avant chaque cours à l’université à l’initiative de comités spontanés d’étudiants pour savoir si le cours devait avoir lieu ou non. Ces discussions prenaient sur le temps de la leçon, tournaient toujours autour des mêmes thèmes, et débouchaient le plus souvent à cette époque sur des décisions à mains levées de ne pas faire grève…
On comprend donc le soin avec lequel Samuel pèse tous les arguments. En premier lieu il montre que les partisans de la tendance « mathématiques d’abord » sont conduits à penser qu’il suffit de quelques esprits brillants pour s’occuper de la connaissance mathématique. Il cite à ce sujet des textes d’André Weil ainsi que de Jean Dieudonné, deux fondateurs de Bourbaki, d’où il ressort que les mathématiciens honorables servent simplement de « caisse de résonance » aux idées des grands talents. Cette orientation est donc élitiste et justifie une organisation très hiérarchisée.
La tendance « mathématiciens d’abord » tient au constat que l’activité de recherche est un plaisir et que son « niveau » n’est pas le premier critère. On défend le principe que tous les enseignants fassent de la recherche et que les jeunes y soient initiés le plus tôt possible en leur confiant des problèmes à résoudre. A propos de ce « plaisir » Pierre Samuel fait remarquer qu’il « n’est pas de mise de soutenir des idées hédonistes ; la poursuite de buts hédonistes est tolérée, à condition qu’ils ne s’expriment pas comme tels« .
Quant à l’option « société d’abord », elle s’appuie sur les services rendus par les applications et les compétences données lors des formations. Au contraire des formules élitistes des défenseurs des mathématiques pures comme G. H. Hardy ou P. Halmos allant jusqu’à assimiler les mathématiques appliquées à de médiocres mathématiques, il s’agit de donner à une large catégorie d’usagers une formation supérieure en mathématiques.
Après avoir soupesé les objections avancées ici ou là, Samuel soutient finalement le but « mathématicien d’abord » entendu avec des modalités larges. Il montre que la société existante va au contraire dans la direction de justifier l’élitisme. Sa position est tout à fait compatible avec la vision lointaine d’une société écologique où une bonne part des mathématiques fonctionnerait à titre culturel, coupée des enjeux techniques et économiques.
Notons encore dans cet article profond, écrit il y a plus de cinquante ans, anticipateur de questions fondamentales qui se posent à nous aujourd’hui, une observation faite par Samuel qui porte sur le devenir de la science elle-même : que penser de la croissance pléthorique des informations mathématiques ? A cet égard la situation d’éparpillement hyper spécialisé s’est considérablement aggravée avec l’accès facile en ligne à des myriades de résultats sans que soit donnée la maitrise des idées qui les engendrent. Cela fait penser qu’un nouveau métier d’unificateur serait à concevoir et à valoriser…
Ce texte, à ma connaissance n’étant pas disponible en ligne jusqu’à ce jour (juin 2023) j’en donne ci-dessous une version numérique presque complète :
Buts d’un mathématicien (par Pierre Samuel)
Depuis plusieurs années et en particulier depuis le Mouvement de Mai, les mathématiciens français ont eu de nombreuses discussions, parfois vives, sur l’organisation de leur profession. Ces discussions organisationnelles ne me paraissent compréhensibles que si l’on parvient à déterminer le (ou les) but(s) que chacun de nous assigne à ses activités.
J’ai cru déceler trois buts possibles :
– les mathématiques ;
– les mathématiciens ;
– la société.
Chez la plupart d’entre nous, ces trois buts coexistent. Les actes et les paroles d’un mathématicien donné ne permettent pas toujours de déterminer si l’un des trois buts ci-dessus est dominant chez lui ou même s’il s’assigne un but dominant. Or, pour la clarté des discussions que nous n’avons pas fini d’avoir, il me paraît important que chacun de nous puisse se classer, même s’il est ou croit être convaincu qu’il n’y a pas de contradiction entre les buts qu’il s’assigne. Je vais donc essayer de décrire un certain nombre de « tendances mathématiques », de choix possibles, et les conséquences organisationnelles de ces choix. J’essayerai ensuite de voir en quoi ces divers choix sont contradictoires.
La tendance « mathématiques d’abord »
Lorsqu’on s’assigne pour but le développement des mathématiques, il est difficile de voir ce développement comme le foisonnement d’un fatras de résultats épars. Il s’agit de développer une « science » au sens classique du terme, c’est-à-dire un édifice bien construit, où les diverses théories s’enchainent et se fécondent. Les partisans de cette tendance en déduisent, avec raison, que seul un petit nombre d’hommes sont capables d’apporter à l’édifice mathématique les résultats assez importants pour ne pas le transformer en un magma informe ou en une juxtaposition de théories partielles ; ils jugent aussi que « trop de cuisiniers gâtent la sauce ».
« En mathématiques, écrit André Weil, peut-être plus qu’en toute autre branche du savoir, c’est tout armée que jaillit l’idée du cerveau du créateur ; aussi le talent mathématique a-t-il coutume de se révéler jeune ; et les chercheurs du second ordre y ont un rôle plus mince qu’ailleurs, le rôle d’une caisse de résonance pour un son qu’il ne contribuent pas à former. » (« L’avenir des mathématiques » in F. Le Lionnais Les grands courants de la pensée mathématiques, Cahiers du Sud 1948).
Jean Dieudonné (lettre polycopiée, début 1968) a repris récemment cette idée avec peut-être moins d’intransigeance car, à côté des « grands mathématiciens », il donne un rôle honorable aux « caisses de résonance »: développement des conséquences des grands résultats, polissage des démonstrations et des exposés, éventuellement travail « à façon » contribuant à l’œuvre orchestrée par un grand mathématicien. Mais en dessous encore de ces « caisses de résonance », il définit les « tâcherons de la science » voués aux ténèbres extérieures.
Certaines réponses, minoritaires d’ailleurs, à un « Questionnaire sur la recherche », diffusé fin 1967, dans le département de mathématiques Paris-Orsay expriment un point de vue analogue. Par exemple : »Sont inutiles et même nuisibles tous les papiers qui n’ont pour but que de prouver la capacité des auteurs à résoudre certains exercices ou de procurer aux dits auteurs des postes d’enseignement ou de recherche. Il faut bien constater qu’une part importante de ce qui est publié tombe dans cette catégorie ».
Une conséquence de cette situation est l’acceptation d’un système bien hiérarchisé, à consition toutefois que les instances qui conditionnent l’accès aux échelons de la hiérarchie soient mathématiquement tout à fait compétentes et que la valeur mathématique y fait nettement le pas sur l’âge du mathématicien. Mais il n’est pas question de mélanger ici les torchons et les serviettes et de laisser les « caisses de résonance » (et encore moins les « tâcherons de la science » !) avoir leur mot à dire dans les choix des « grands mathématiciens ».
Une autre conséquence, bien développée en juin 1968 par A. Grothendieck (« Le maître-enseignant et le maître- chercheur dans l’université d’aujourd’hui et de demain » polycopié largement diffusé par l’IHES) est que, comme les « grands mathématiciens » et les « caisses de résonance » ne sont sûrement pas assez nombreux pour les tâches d’enseignement, les Départements de Mathématiques devront utiliser des enseignants non chercheurs (et les traiter décemment. Un argument psychologique vient à l’appui de cette position, s’ils font de la recherche les « tâcherons de la science », ou bien se forcent, ou bien se sentent négligés ou méprisés par nombre de grands mathématiciens ; ils seraient moins malheureux s’ils se cantonnaient à l’enseignement et à l’étude contemplative des mathématiques.
D’autre part comme un saupoudrage de vrais chercheurs dans une trentaine d’universités serait néfaste à la recherche, les tenants de la position étudiée en concluent qu’il faut les concentrer dans un nombre limité d’universités.
Enfin la formation de futurs mathématiciens doit les mettre à même de faire de grandes choses, de sorte qu’elle s’attachera à leur donner une très vaste culture, dominant plusieurs domaines des mathématiques car les interactions entre ceux-ci sont à la base de beaucoup de grandes découvertes.
La tendance « mathématiciens d’abord »
Cette tendance s’est exprimée jusqu’ici avec moins de netteté et de brillant que la précédente. Grosso modo ses tenants pensent que l’activité de recherche mathématique est agréable et bénéfique au développement de l’individu. Le « niveau » de cette recherche n’est pas pour eux l’essentiel, leur but étant de donner à chacun les moyens matériels et organisationnels de faire le maximum de ce qui est compatible avec ses qualités personnelles. Certians ajoutent d’ailleurs que le « don » mathématique n’est pas une notion absolue et que ces dons peuvent se développer dans des conditions convenables (ce point paraît parfaitement fondé car il y a beaucoup d’exemples de grands mathématiciens qui, s’ils avaient été soumis au système d’un pays différent du leur auraient été « tués »).
Les partisans de cette tendance paraissent avoir moins insisté sur leurs axiomes de base que sur leurs conséquences. On peut même se demander si beaucoup sont conscients de ces axiomes. Ceci ne doit pas étonner car, dans une société marquée par le jansénisme, la morale laïque, les appels au dévouement patriotique ou révolutionnaire – dans une société qui considère que les individus sont intrinsèquement mauvais et poussés par des forces cachées hostiles à l’ordre social – il n’est pas de mise de soutenir des idées hédonistes ; la poursuite de buts hédonistes est tolérée, à condition qu’ils ne s’expriment pas comme tels.
Ainsi les conséquences sont mieux exprimées que les axiomes. On insiste d’abord sur les moyens de la recherche mathématique tant matériels (bibliothèque, locaux, moyens de secrétariat, et de polycopie) qu’organisationnels (cours d’initiation, séminaires, groupes de travail).
On refuse ensuite avec la plus grande énergie, qu’il y ait des carrière universitaires d’enseignants non chercheurs ; un voile pudique recouvrira ceux que les circonstances amènent à ne pas faire de recherche. Certains vont plus loin et demandent le rattachement des claes préparatoire à l’université afin d’éliminer un secteur d’Enseignement supérieur qui comporte des enseignants non chercheurs. On refuse également que certaines universités soient, à tout jamais, de seconde zone, et l’on est favorable à des plans cohérents de nomination, qui permettraient que peu à peu, chaque université comporte un centre actif de mathématiques.
Quant à la hiérarchie, les opinions sont partagées. Certains la refusent car les axiomes qu’ils ont choisis ne donnent aucun sens à la phrase « Les théorèmes de M. X sont meilleurs que ceux de M. Y » ce refus peut aussi venir de considérations extra mathématiques. D’autre considérant que le « bon directeur de recherche » est un rouage essentiel de leur système, acceptent une hiérarchie basée sur les qualités de direction de recherche ; alors la participation des « apprentis » aux choix (ou aux promotions) des patrons devient chose aussi naturelle que la participation des clients, par leurs achats ou refus d’achats, à la santé financière d’un grand magasin : en effet la qualité exigée ici d’un « patron » est justement de réussir auprès des « apprentis ».
Enfin la formation des jeunes renoncera à l’encyclopédisme et s’efforcera de les mettre rapidement en contact avec des problèmes à résoudre.
Les tendances « société d’abord »
Les deux tendances que nous venons d’examiner sont au premier abord des tendances très « pures » et peuvent sembler indépendante de la société environnante. Ce sentiment d’indépendance existe sûrement dans l’esprit de beaucoup de leurs tenants. Mais il ne semble pas qu’elles soient objectivement indépendantes de la société. Celle des « Mathématiques d’abord » (comme Paul Nizan l’avait dit de la Philosophie et comme on l’a souvent répété depuis 1968) à la justification idéologique d’une société hiérarchisée. De plus le fait qu’elle soit assez économique devrait lui éviter tout conflit avec la société existante. La tendance « mathématiciens d’abord » coûte plus cher; elle implique donc vis à vis de la société des actions revendicatives et des justifications destinées à la persuader d’entretenir un nombre important de mathématiciens (du genre « la recherche mathématique développe le muscle intellectuel », « les applications exigent un grand nombre de gens formés à la recherche » « comparés aux Américains et aux Russes nous ne publions pas encore assez » « d’ailleurs à côté des expérimentaux nous ne coûtons presque rien »).
Ces liens étant rappelés, passons aux mathématiciens qui donnent à leur activité des buts orientés vers la société. Nous avons déjà mentionné l’attitude de justification idéologique de la société existante ; sauf en période de crise cette attitude reste implicite; chez les mathématiciens elle se traduit par des considérations sur le « niveau » sur sa baisse, sur la supériorité des normaliens et des gens formés par de « bonnes » écoles mathématiques. Il y a depuis 1968 l’attitude opposée d’attaque idéologique contre la société existante qui se traduit par le refus des examens et de la sélection.
Un but social peut être la participation directe au développement de la production, il concerne surtout les mathématiciens appliqués, par exemple les mécaniciens, statisticiens et informaticiens. Beaucoup de mathématiciens purs ont par contre, sur ce point, une attitude de retrait parfois concomitante à des opinions de gauche ; ils affirment avec Jacobi que « le but de la Science est l’honneur de l’esprit humain » et avec G. H. Hardy que « la Mathématique est une science inutile, j’entend par là qu’elle ne peut servir à l’anéantissement de nos semblables ni à leur asservissement. Bien entendu ces deux attitudes opposées ont leurs répercussions pratiques, notamment quant à la participation de personnes qualifiées extérieures aux conseils d’UER.
Un accord assez large a lieu sur la nécessité de donner une formation mathématique supérieure à toute sorte d’usagers. On déploie beaucoup d’intérêt et d’activité pour la formation initiale et permanente, des enseignants du Secondaire, puis des instituteurs ; l’organisation d’enseignements universitaires pour ces derniers est attendue avec grand intérêt. On commence à s’intéresser aux usagers non classiques des mathématiques, biologistes, médecins, spécialistes des sciences humaines ou économiques. L’idée progresse que de nombreuses branches de l’activité humaine ont besoin de gens qui, non seulement savent des mathématiques, et savent les appliquer, mais aussi savent mathématiser une situation donnée. Il est tout naturel que le milieu mathématique accueille en gros cette idée avec faveur car ces besoins renforcent l’importance et le prestige des mathématiciens, il leur est agréable de penser que leur science est une partie centrale de la culture existante.
Comparaisons et conclusions
Nous avons constaté que les tendances « Mathématiques d’abord » et Mathématiciens d’abord » aboutissent dans l’abstrait à des conséquences parfaitement contradictoires en matière d’organisation universitaire. Les conséquences du principe « Mathématiques d’abord » (hiérarchie, enseignants non chercheurs, Université de première et de seconde zone) paraissent à première vue parfaitement logiques et ceux qui les refusent peuvent être tentés d’en refuser le principe. Mais la situation est plus complexe.
Comme les conséquences de ces deux tendances ont été décrites avec beaucoup de détails et que les mathématiciens adhèrent en général à l’un ou à l’autre de ces deux systèmes de con séquences (dits « élitiste » et « large »). C’est ces deux sustèmes que nous allons comparer en faisant intervenir au fur et à mesure les arguments que peuvent apporter les tendances « Société d’abord ».
Un attrait des conséquences fort logiques, du principe « mathématiciens d’abord » est qu’elles paraissent compatibles avec le développement des « grandes mathématiques » chères aux tenants de la tendance opposée. A première vue, en effet, les « grands mathématiciens » ne seront pas brimés dans un système qui est le bonheur du plus grand nombre. Ils auront leur juste part dans la manne de postes, de livres, de bureaux et de crédits divers, on peut même prévoir que les lois numériques de l’avancement les propulseront rapidement vers les « classes exceptionnelles ».
Mais ce tableau idyllique est sujet à quelques critiques qu’il faut examiner.
[Samuel discute diverses difficultés, je ne mentionne que leurs titres :
- a) La pléthore d’information mathématiques.
- b) La valorisation du directeur de recherches.
- c) L’envahissement par les médiocres.
- d) L’argent des contribuables.
- e) Ceux qu’on force à faire de la recherche sont malheureux.
- f) Les étudiants seraient mieux encadrés avec des enseignants non chercheurs.
]
Voyons maintenant comment les tendances « société d’abord » influent sur l’organisation de notre profession. Nous avons déjà vu comment la formation de multiples usagers est incompatible avec une organisation élitiste, mais est parfaitement compatible avec une organisation « large ».
La justification idéologique de la société existante va dans le sens d’une organisation élitiste. Je pense d’ailleurs que ce fondement idéologique est le seul fondement solide de cet élitisme. Nous avons vu en effet que les buts purement mathématiques des tenants de « mathématiques d’abord » ne sont pas mis en danger par l’organisation « large » demandée par l’autre tendance, modulo quelques compromis tout à fait acceptables. Quant à l’attitude d’attaque idéologique contre la société existante, son expression est trop récente en milieu mathématique pour que je puisse décrire ses conséquences pratiques ; mais ce ne sont sûrement pas celles de l’élitisme.
Enfin les attitudes vis-à-vis de la participation directe à la production peuvent être aussi bien compatibles avec une organisation élitiste qu’avec une organisation « large ». La question devrait être étudiée par des mathématiciens ayant plus d’expérience de ces questions. On peut craindre cependant que l’organisation élitiste ne pousse vers la production des gens ayant une formation étroite, peu d’expérience de la recherche, peu de facultés de réadaptation. Ces gens seraient utilisables pendant 10 ou 15 ans, mais risqueraient d’avoir ensuite de grandes difficultés à s’adapter à la technique rapidement changeante à notre époque. C’est peut-être l’intérêt immédiat de leurs premiers employeurs, ce n’est sûrement pas celui des intéressés, ni celui de la société en général. C’est donc un argument de plus en faveur d’une organisation large.
En conclusion je pense que cette organisation « large », chère à la tendance « mathématiciens d’abord », est la seule compatible avec un grand nombre de buts de la communauté mathématique. Je crois qu’il faut l’accepter sans réticence et l’aménager au mieux.
Pierre Samuel
Pierre Samuel reprendra le thème de l’élitisme à plusieurs reprises et en particulier dans sa comparaison de la sélection par les mathématiques et par le latin, dans l’article « Mathématiques, latin et sélection des élites » in Pourquoi la mathématique ? Union générale d’édition, mars 1974 (rédaction plus complète de deux exposés des 9 et 16 janvier 1974 au séminaire « Mathématiques, mathématiciens et société » qu’il a organisé à l’université d’Orsay).
Il y prend quelques distances sur les raisons de l’accueil du Rapport Meadows The limits to Growth récemment paru. Non pas sur le constat mais sur le registre de sa communication éloigné de l’écologisme libertaire qu’il a développé un an auparavant dans son livre Ecologie : détente ou cycle infernal ? Union générale d’édition 1973. Il écrit en effet :
Le phénomène de dépersonnalisation est profond car le dirigeant de la société industrielle contemporaine est anonyme et collectif : chacun n’est expert que dans son domaine bien délimité et le pouvoir de la technocratie ne peut être que collectif. A la limite le public pourrait se dire que les décisions importantes sont prises par des ordinateurs : par exemple lorsqu’il est question du rapport du M.I.T. sur « Les limites de la croissance », on ne cite guère les noms de ceux qui l’ont écrit ou pensé (Meadows, Randers, Behrens, Forrester), mais on insiste avec révérence sur le fait que ses calculs et ses graphiques ont été faits par de puissants ordinateurs. Là où la société montre au public des noms et des têtes, c’est dans le domaine du spectacle : vedettes, têtes couronnées, champions sportifs, hommes politiques même. Les décisions importantes sont prises par des comités.[1]
[1] Voir à propos du Rapport Meadows le chapitre II §7 de P. Samuel dans son livre Ecologie : détente ou cycle infernal ? Union générale d’édition 1973.