Le changement climatique ne se traduit pas seulement par l’élévation de la température globale moyenne de l’atmosphère, mais par une plus grande variabilité dans l’espace et dans le temps. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec l’agitation des marchés financiers qu’on appelle la volatilité ?
Du côté de la finance
Pourquoi les marchés financiers s’agitent-ils ? C’est a priori surprenant car d’un point de vue macro-économique l’offre et la demande des produits cotés (matières premières, valeurs, produits financiers) ne se modifient pas si vite. On peut même dire que les fluctuations sont si rapides que la valeur instantanée n’a pas le temps d’influencer la réalité économique. Il y a plusieurs raisons à cette agitation.
Il faut noter d’abord qu’il s’agit de marchés spéculatifs en ce sens qu’on peut y acheter, vendre, racheter et revendre quand on veut la quantité qu’on veut ou presque. Sur des marchés où l’on ne paie que ce que l’on consomme : primeurs, vêtements, loisirs… et même pour le prix de l’essence à la pompe, la structure instantanée du prix est différente.
La première explication est qu’il ne peut pas en être autrement. Si le prix suivait une courbe régulière avec une tangente bien claire, au vu de cette pente si le prix était croissant on aurait intérêt à acheter (pour revendre un peu plus tard) ce qui ferait instantanément monter le cours et détruirait la régularité de la courbe. Même chose si la pente était négative.
Mais on peut en dire bien davantage. La spéculation se perfectionne en permanence. Les traders utilisent des moyens de recueil d’information, d’analyse statistiques, de plus en plus puissants pour traquer des régularités cachées et en tirer parti. Au fur et à mesure de cette chasse aux déterminismes sous-jacents, la structure de la trajectoire se modifie et prend une allure rendant de plus en plus difficile la spéculation elle-même. Certaines publications expliquent qu’on pourrait se servir des cours des marchés financiers comme source de hasard de très bonne qualité.
Les lois mathématiques des marchés ultimes où toute spéculation sans risque est impossible ont été découvertes dans les années 1970 et font maintenant l’objet de ce qu’on appelle la théorie mathématique de l’arbitrage.[1]
Reste la question de l’importance de cette agitation. Qu’est-ce qui fait que la volatilité est d’amplitude plus ou moins grande ? Cela dépend des circonstances, de l’actif concerné, du temps qui passe, des événements économiques, des décisions des acteurs et des politiques publiques. La cause profonde, le moteur, de la volatilité, est l’incertitude. Plus les opérateurs sur le marché sont perplexes plus la volatilité est grande.
C’est la raison pour laquelle — comme je l’ai analysé dans mes travaux — les marchés indiquent mal la rareté (effacement du signal-prix) et très mal l’épuisement des ressources non renouvelables, car l’approche de l’épuisement d’une ressource crée le plus souvent beaucoup d’incertitude.[2]
Du côté du climat
La cause profonde est connue c’est l’effet de serre. Une plus grande part de l’énergie apportée par le rayonnement solaire est captée par l’atmosphère parce que certains gaz – dont le gaz carbonique et aussi la vapeur d’eau, ce gaz transparent tant qu’il ne condense pas, présent en abondance très variable – laissent passer certaines longueurs d’ondes et d’autres moins.
C’est une des caractéristiques de l’anthropocène. S’agit-il d’une simple élévation de température ? Non, il apparait une variabilité plus forte des paramètres météorologiques. Sans rentrer dans les détails de la physique de l’atmosphère qui fait intervenir les équations de Navier-Stokes et les lois de changement de phase, disons que les masses élastiques de l’atmosphère ne s’écoulent pas de façon laminaire mais le plus souvent en régime turbulent.
L’eau d’un bassin dont une partie est au soleil se met en mouvement. Entre les différents oscillateurs en présence lorsque ceux-ci sont faiblement couplés l’énergie se répartit en général sans rester dans un régime stationnaire, des battements se forment créant périodiquement un calme apparent dans certaines zones. Dans des exemples paradigmatiques ceci se relie aux travaux de Lars Onsager entre autres. Ainsi l’énergie calorifique qui est l’agitation des molécules se transmets à l’énergie élastique qui elle-même peut contribuer aux changements de phase, ce qui a été depuis longtemps utilisé comme indicateur du temps par le biais des baromètres.
Aucun rapport ?
Évidemment ce parallèle fort ne veut pas dire qu’il y ait le moindre lien entre ces deux phénomènes. Il ne faudrait pas tomber dans un conspirationnisme primaire qui accuserait le capitalisme financier de créer la turbulence atmosphérique.
Mais ceci ne nous interdit pas de réfléchir un peu.
Le flou engendré par la variabilité météorologique rend plus incertaine l’anticipation des séries temporelles, et on peut conjecturer que la température locale moyenne sera de plus en plus difficile à déterminer par la présence d’événements rares de forte amplitude et de localisation variable.
Notons que la variabilité des caractéristiques météorologique se traduit par une plus grande imprévisibilité de ce qui se passe en chaque point où les données sont recueillies pour procéder à l’assimilation des données nécessaire à la modélisation, mais il s’agit aussi d’une plus grande variabilité dans l’espace, on a des situations où l’on se doute qu’un phénomène exceptionnel va se produire mais on ne sait pas très bien où.
Il y a un couplage — disons qualitatif — par l’intermédiaire de l’économie.
Incontestablement la variabilité du climat apporte beaucoup d’incertitude qui se répercute sur les évaluations, les projets et les anticipations des acteurs économiques. On le voit très concrètement maintenant par les inquiétudes des assureurs qui se demandent s’ils vont pouvoir continuer sans que l’État les couvre en dernier ressort.[3]
Évidemment les incertitudes économiques ont bien d’autres causes que la variabilité climatique. Mais remarquons que la volatilité des marchés résulte souvent de l’incertitude non pas pour demain ou la semaine prochaine mais pour le moyen terme et là le facteur « variabilité du climat » a certainement son importance.
Dans l’autre sens, il y a influence de la volatilité des marchés sur le climat par l’intermédiaire des émissions de gaz à effet de serre. La nature du phénomène peut être comprise de la façon suivante. Pour un entrepreneur qui est devant des choix difficiles et risqués pour son développement, ses consommations d’énergie, ses investissements en équipement, ses dépenses de salaires, une forte volatilité des marchés fait que ses décisions sont réellement au petit bonheur la chance, et ceci le pousse à l’immobilisme, le business as usual, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture.[4]
Certes la finance contemporaine propose des assurances contre les risques financiers, ce sont les fameuses options et autres produits dérivés. Mais le cours des options — c’est là un résultat célèbre de finance mathématique — dépend essentiellement de la volatilité et croit vite avec elle. Ces outils sont inaccessibles aux petites entreprises et pour les grandes ils n’aident aucunement aux choix stratégiques, ce sont comme des analgésiques non des médicaments qui soignent.
Donc l’effet de la volatilité des marchés financiers sur l’économie est qu’elle injecte de l’incertitude et la fait payer cher sous forme d’options. Elle dramatise le management des petites entreprises, peut les tuer, et en général les paralyse les empêchant de prendre des mesures de prévention.
Quelle politique peut tenir compte de ces effets d’amplification mutuelle ?
La variabilité du climat est factuelle, on peut tenter de s’adapter au mieux, mais on ne peut agir dessus que par la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Compte tenu de ce qui a déjà été émis depuis le début de l’ère industrielle, le phénomène a une inertie considérable. La variabilité est là et parfois de façon irréversible comme le montre le franchissement de certains points de bascule. [5]
Comme les marchés financiers se nourrissent de cette variabilité pour augmenter leur volatilité, nous sommes devant la nécessité de tenter de découpler la volatilité des marchés et les décisions économiques. Ceci a été souvent discuté, il n’y a pas d’autre voie que de fabriquer pour toutes les ressources cotées sur les marchés des anticipations « les plus raisonnables qu’on peut » avec le plus grand soin par des équipes scientifiques internationales afin d’éclairer les acteurs économiques en misant sur un effet partiel d’anticipations auto-réalisatrices.
Cela revient à créer au GIEC un 4ème groupe qui au-delà des scenarios prévisibles d’émission de CO2, élabore des rapports annuels de prévision sur les ressources renouvelables et non renouvelables et des suivis d’indicateurs environnementaux.
[1] Voir sur ce blog Les marchés fumigènes [http://www.nicolasbouleau.eu/finance/les-marches-fumigenes/] et le mot-clé « marchés financiers ».
[2] Cf. N. Bouleau Le mensonge de la finance, les mathématiques, le signal-prix, et la planète, L’atelier 2018.
[3] Voir les articles de J.-L. Bancel et R. Nussbaum « Pourra-t-on encore assurer ? » et de N. Bauduceau « Accroitre la prévention » dans Le Monde des 25-26 sept 2022.
[4] Voir Le mensonge de la finance, op. cit.
[5] Cf. A. Garric « Climat : des seuils critiques bientôt franchis ? » Le Monde 10 sept 2022.