Dévastation

Dominique Bourg Dévastation, la question du mal aujourd’hui PUF 2024

Voici un livre qui, à mon avis, marquera l’opinion et l’époque. Il nous présente une vaste fresque. La question du bien et du mal ne date pas d’hier, mais elle induit une fascination nouvelle aujourd’hui parce que les circonstances des horreurs du 20ème siècle – points extrémaux d’une ignominie que l’on pensait indépassable – ont de fortes similitudes avec certaines tendances que l’on observe maintenant et qui pourraient être les prémisses de nouvelles irréversibilités.

Les peintres sont sans doute les mieux placés pour garder présentes à l’avenir les scènes honteuses du passé. C’est le «Tres de mayo» de Goya et le « Guernica » de Picasso. Mais le rôle de la philosophie est différent. Elle analyse. Partant des faits recueillis par les historiens elle entend apporter des concepts assez clairs et assez durables pour les relier à ce que la psychologie, la sociologie et l’anthropologie apportent de moins contestable. Ceci la conduit à prendre méthodologiquement le contrepied de la croyance aux bienfaits de la puissance technique. L’année 2000 Dominique Bourg et Jean-Michel Besnier avaient monté un colloque intitulé « Peut-on encore croire au progrès ? ». Ils prenaient le relai des Jacques Ellul, des Günther Anders et des Karl Jaspers qui avaient dégagé les traits psychologiques et sociaux à l’œuvre dans la banalisation des déontologies des savants créateurs de la bombe atomique. Aujourd’hui nous en sommes à 450 réacteurs nucléaires dans le monde, et on calcule des probabilités d’accidents en omettant nécessairement des causes : les métaux comme l’acier sont faits de cristaux irréguliers, l’informatique de contrôle est faillible, et la volonté des humains qui s’occupent des centrales est partiellement inconnue.
Les guerres se perpétuent et l’homme emploie sa rationalité à les préparer. Les budgets d’armement gonflent. On entend moins les climatosceptiques mais les politiques et les usages ne changent pas. Les émissions de CO2 ne diminuent pas. Nous pensions dans les années 1990 que si les alertes du Club de Rome et du GIEC n’étaient pas suivies de changements de comportement c’était parce que les électeurs ne ressentaient pas la réalité de l’effet de serre. Mais c’est le contraire qui se passe. Le climat est bouleversé, les grandeurs météorologiques ont pris une variabilité dans le temps et dans l’espace qui rend les prévisions de plus en plus difficiles. L’énergie dans l’atmosphère ne se traduit pas seulement par la température mais par l’énergie cinétique. On voit des pluies torrentielles et des incendies gigantesques et ceci confortent ceux qui disent qu’il faut se protéger de la violence de la nature.
L’agriculture industrielle mène le jeu au niveau du commerce international. Les herbicides et les pesticides nettoient la terre arable en fabriquant des espèces plus coriaces. Le sol est normalement d’une telle richesse biologique que l’on tue les micro-organismes sans même savoir ce qu’on tue. La baisse de la biodiversité induite par la technique renforce les arguments techniques.
Dominique Bourg mène son analyse jusqu’aux conséquences politiques et religieuses. Politiquement les menaces croissantes sur l’habitabilité de la planète imposent de repenser la gouvernance vis à vis de l’économie libérale, incontestablement à courte vue pour des raisons systémiques. Mais on doit aussi rester vigilant sur les constructions d’idéologies notamment par l’apparition de « position de surplomb » concept clé de la mise en place de systèmes totalitaires verticaux. Pour ce qui est des religions il montre de façon convaincante la place particulière qu’ont les religions monothéistes par la perspective eschatologique donnée à la condition humaine.
Je pense en effet qu’il y a une fabrication de providence d’origine religieuse qui dans les pays techniquement avancés permet de scotomiser les risques attenants au progrès, en particulier dans le domaine de la biologie qui aura un rôle majeur dans l’avenir comme je l’ai souligné dans mes livres récents.
Pour conclure, c’est un ouvrage majeur, solidement argumenté sur des thèmes qui imprègnent les fondements de notre époque, et même qui répondent à des préoccupations encore peu explicitées. Dominique Bourg nous a donné là une œuvre importante, une philosophie claire et utile.

Ce contenu a été publié dans Economie, Environnement, Philosophie, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *