Arracher du colza génétiquement modifié a une signification positive dès lors que la nature est maltraitée suivant une vision de pur profit qui devient envahissante. Voici le convaincant plaidoyer d’une arracheuse prononcé en 2018 devant le tribunal.
En novembre 2018 un procès fut intenté à une quarantaine de faucheurs volontaires qui s’en étaient pris en 2016 à des variétés de colza résistantes à des herbicides. Ce sont des variétés de colzas qui devraient être exclues du catalogue à la suite de l’arrêt du Conseil d’état de février 2020, ce qui n’est pas toujours fait. Lors de chaque arrachage la liste des participants est donnée aux forces de l’ordre et l’action est revendiquée.
Ce qui m’amène devant vous, vient de loin, c’est depuis toute petite une communion avec la nature, la sensation fondamentale essentielle de faire partie d’un tout.
Et donc, quand on agresse la nature, je suis agressée.
Plus tard, j’ai mieux identifié cette globalité dont je parle : la nature mais aussi la nature travaillée, façonnée par l’Homme depuis des millénaires : la campagne, pour moi, une œuvre d’art, celle des paysans. Des paysans et des animaux qui l’accompagnent.
C’est cette sensation d’enfance qui a fait que naturellement, je suis devenue professeur de sciences naturelles.
Et justement dans la science, j’ai retrouvé cette globalité qui n’était qu’une sensation petite. Et j’ai eu le bonheur fou de l’enseigner. C’est complètement en lien avec aujourd’hui.
Ce que nous dit la science, c’est que le vivant actuel est hérité de centaines de millions d’années d’évolution de la Terre et de la Vie, une évolution non linéaire avec des impasses, des brouillons à jamais inconnus, évolution buissonnante qui montre avec la génétique que tous les êtres vivants sont parents autrement dit nous avons en nous les hommes une part de tous nos ancêtres communs, une part d’animalité, une part d’humanité, une part d’histoire commune avec tous les êtres vivants : nous sommes la nature. Et dans cette nature, il y a beaucoup d’inconnu.
La nature actuelle se lit donc à la lumière de l’évolution. C’est un équilibre dynamique, c’est notre bien commun si fragile et si menacé. Et pour moi, ce sont nos vraies richesses.
J’ai aussi enseigné, avec un bonheur moins fou, les bases de la biologie moléculaire à mes élèves c-à-d une partie de la biologie qui s’intéresse à l’ADN et ses applications: le génie génétique aujourd’hui appelé biotechnologies : en fait une technoscience.
Et j’ai découvert un monde qui m’a beaucoup inquiété et tout naturellement j’ai rejoint les FV dans la défense du vivant.
En effet, les biotechnologies introduisent des modifications artificielles, des artéfacts au cœur du vivant et le mettent en péril. Et les OGM sont issus des biotechnologies.
Je laisserai de côté les OGM construits en labo pour comprendre le vivant, ils sont un outil de la recherche fondamentale et j’aime à penser que celle-ci existe encore.
1 – En quoi les biotechnologies menacent le vivant ? (pourquoi je fauche des OGM)
D’abord parce qu’elles sont basées sur des idées devenues fausses concernant le vivant.
Vous le savez, depuis des décennies, dans le domaine du vivant on mise tout sur l’ADN, une molécule par ailleurs très mal connue.
Cette idée de l’ADN, des gènes qui programment, commandent les êtres vivants va bien avec les idées aujourd’hui vieilles de 500 ans, les idées de Descartes: se rendre maître et possesseur de la nature, avec son corollaire, le vivant fonctionnant comme une machine.
Or le vivant ne fonctionne pas : il est.
Depuis longtemps déjà des chercheurs se sont penchés sur le vivant, son histoire et ses mythes et ils voient la Vie autrement et la biologie actuelle va dans leur sens : les découvertes en épigénétique, en biologie cellulaire, en écologie scientifique ou en science de l’évolution montrent que le vivant se caractérise par :
. sa sensibilité,
. son changement permanent,
. sa complexité (une part d’imprévisibilité)
. son auto-organisation, auto-régulation, autrement dit son autonomie (sa liberté!)
. et le vivant est issu d’une très longue histoire qui n’est pas un long fleuve tranquille comme je l’ai déjà dit et qui ne connaît pas la marche arrière,
. le vivant est beaucoup plus que la somme de ses parties, ce n’est pas un légo chaque partie existe par et pour son contexte , son environnement, son champ biologique : c’est vrai au niveau des gènes, des cellules et de l’organisme, les interactions sont permanentes et s’inscrivent dans le temps,
. et le vivant n’est pas non plus un flux d’informations modélisables comme on voudrait nous le faire croire aujourd’hui (ce qui arrangerait les transhumanistes). Il y a en plus le sens de la vie.
Et parce que le vivant est fait de toutes ces interférences, on ne peut le réduire à son ADN.
Si donc, on touche à l’ADN, que ce soit ciblé ou non, on va provoquer des modifications sur le génome et l’épigénome qui vont entraîner des réactions en cascade sur la cellule, l’organisme, et ce que l’anthropocentrisme de l’homme appelle environnement. Les scientifiques connaissent ces effets qu’ils appellent effets non intentionnels des manipulations génétiques. Les scientifiques ne maîtrisent pas tout et ils le savent.
Qu’à cela ne tienne, avec les biotechnologies, on veut DIRIGER la nature : les OGM c’est de la sélection artificielle forcée au cœur du vivant , or celui-ci ne suit jamais une ligne droite, les « lois » de la nature sont ainsi faites : il y a des erreurs, de la négativité, du gaspillage … (spermatozoïdes, graines…) Il n’y a pas d’intention dans la nature ! Et pourtant certains chercheurs osent nous dire que la nature aurait pu faire pareil qu’eux !!!
Les idées cartésiennes sont archaïques de nos jours et pourtant c’est sur ces vieux concepts que sont basées les technologies modernes. Le vivant n’est pas une machine.
Et en plus, il faut ajouter la notion de TEMPS : avec les biotechnologies et l’informatique l’échelle de temps fait un bond vertigineux, elle passe de milliards d’années à quelques heures, mois ou au plus quelques dizaines d’années.
Ça fait beaucoup d’erreurs dont les conséquences seront incontrôlables et irrémédiables.
Nous devons protéger la nature des technologies et c’est urgent
Bien sûr, la nature est résiliente, elle répare mais jusqu’à quel degré de destruction ? À quel point de rupture ? Avec ou sans l’Homme ? Vous le savez sans doute, certains penseurs parlent d’effondrement des écosystèmes et de nos sociétés.
ET SURTOUT, nous sommes dépossédés de la nature, de ce qui nous fonde, de notre essence même. C’est cela qui m’affecte profondément, c’est pourquoi je me suis engagée corps et âme chez les Faucheurs Volontaires : pour alerter et pour demander un droit de regard sur des recherches qui nous concernent tous et qui sont faites dans l’ombre, sans barrière éthique et philosophique. Parce que c’est techniquement possible on le fait sans se poser la question de savoir si on en a besoin et tout ce qui est fait devient normes bouleversant nos vies à notre insu.
Qui sera responsable quand les dommages seront là ? Personne, nous le savons déjà. Ni les politiques, ni les chercheurs.
On nous parle de gérer les risques des biotechnologies mais nous, nous voulons qu’ils ne soient pas crées. Il s’agit maintenant de déconstruire ce qui génère les problèmes.
À ce que je sache, le principe de précaution s’applique en amont. Rappelons qu’il est inscrit dans la charte de l’environnement qui a valeur constitutionnelle.
Et tout cela pourquoi ? Pour le profit des firmes agro-industrielles, nous le savons tous. Et en faisant passer les innovations pour un progrès : or cela n’a rien à voir, le progrès s’intéresse aux valeurs : à l’amélioration du bien commun et les innovations sont une modification d’une réalité.
Qu’a fait le progrès en agriculture ? Il a détruit l’agriculture paysanne pour en faire une industrie mortifère, il a détruit les paysans pour les asservir à cette industrie, il a détruit la diversité des semences acquise au cours des siècles, les sols, etc …
C’est cela déjà qui était dénoncé au premier fauchage d’OGM en 1997. Rien n’a changé.
Les OGM sont un instrument de domination. (et « le progrès, c’était mieux avant »)
2 – Pourquoi j’ai fauché des colzas de VrTH mutées ?
Les colzas détruits sont des OGM cachés : ce sont des variétés rendues tolérantes à un herbicide, des VrTH issues de mutagénèse. Celle-ci est reconnue comme produisant des OGM par la directive 2001/18, ce que vient de confirmer l’arrêt de la Cour de Justice Européenne le 25 juillet dernier. La mutagénèse a cependant été exclue du champ d’application de cette loi pendant près de 20 ans, et les VrTH mutées n’ont été ni évaluées, ni tracées, ni étiquetées: il a fallu se battre en pure perte dans les DRAAF, les ministères pour savoir où et en quelle quantité elles étaient cultivées …. Il faut le dire haut et fort, il y a des OGM cultivés en France comme ceux que l’on a détruits ici.
On les a fait passer pour non OGM car le mot fait peur. Je dénonce ce tour de passe passe, ce déni, ce silence, cette manipulation des cerveaux qui est en fait une technique d’acceptabilité sociale, qui consiste à nous faire accepter l’inacceptable. On n’appelle plus un chat un chat et le tour est joué !
La mutagénèse a été exclue du champ d’application de la loi au motif qu’elle a été utilisée depuis 50 ans et n’a pas révélé de risques. Or la mutagénèse aléatoire dont il est question était faite sur plante entière, bouture ou semences, c’est à dire in vivo alors que la mutagénèse à l’origine des VrTH est une mutagénèse sur cultures de cellules isolées, in vitro sur milieu artificiel. Or cela est important car les préparations de ces cellules, leur maintien en milieu artificiel, leur régénération en organismes, leur sélection postérieure induisent des mutations et épimutations non attendues et la technique de mutagénèse en elle même induit des effets non intentionnels nombreux qui ne seront plus corrigés par la plante entière, qui elle a des capacités de régulation. La sécurité de cette technique n’est donc pas avérée: il y a des risques.
Tout ça, on le savait avant de faucher. Mais, en préparant ce procès, nous avons appris que dans notre cas des colzas VrTH Clearfield, la mutation chimique est appliquée sur une culture in vitro de microspores c-à-d des grains de pollen immatures (cellules haploïdes) qui après traitement avec de la colchicine donnera un embryon, puis après d’autres traitements, une plante dite double haploïde (homozygote) . Or dans la nature un grain de pollen tout seul ne donne rien, il doit féconder un ovule pour donner une plante. Cette technique de culture qui se passe de la fécondation, processus naturel de recombinaison, donne donc des OGM comme le dit la directive européenne 2001/18. Les colzas Clearfield sont des OGM.
Les colzas détruits sont des plantes à pesticides c’est à dire destructrices de la vie.
– Les pesticides sont dangereux pour les microorganismes de la rhizosphère indispensables aux plantes et pour les microorganismes qui dégradent la matière organique en humus : l’humus disparaît, les sols meurent.
– Les pesticides se retrouvent dans l’environnement et dans notre cas précis dans les eaux souterraines et perturbent ainsi la santé de tous les êtres vivants sur Terre. On ne compte plus les perturbations du système nerveux, du système hormonal, les effets carcinogènes et tératogènes (Ain).
Les colzas que nous avons fauchés ont été modifiés pour tolérer un herbicide ici l’imazamox, inhibiteur d’une enzyme: l’ALS qui se trouve dans les chloroplastes .
Ces colzas ont été mis en place dans des systèmes agricoles pour faciliter le désherbage. Or les inhibiteurs de l’ALS génèrent particulièrement l’apparition de mauvaises herbes résistantes ou de repousses de colza résistantes. Ce qui obligent les agriculteurs à augmenter les doses ou proportions et à utiliser d’autres toxiques parfois anciens et très dangereux. A long terme, ces variétés sont inefficaces et augmentent les problèmes de désherbage. Une catastrophe écologique est aussi en cours aussi à cause de ce problème de résistance. (rapport EsCO)
C’est d’autant plus vrai pour le colza puisqu’il se croise facilement avec d’autres crucifères apparentées sauvages ou cultivées. En 1998, l’État sous la pression de la profession agricole, avait interdit la culture de colza transgénique rendu tolérant aux herbicides en raison de ce risque de propagation de tolérance. La culture du colza muté a les mêmes conséquences.
Ce qui était dangereux en 1998, ne l’est plus 20 ans plus tard ?
Les colzas détruits sont liés à l’agriculture industrielle mondialisée qui en plus d’être chimique avec les effets que je viens de citer, est responsable à 50% de l’effet de serre : elle détruit aussi le climat.
Or, les nouveaux OGM nous sont présentés pour résoudre au plus vite les problèmes climatiques : on va concevoir des plantes qui résistent à la sécheresse, argument de vente comme jadis pour nourrir la planète. Surtout ne pas s’attaquer aux causes ….
La technologie ne résoudra jamais les problèmes qu’elle a elle même crées. Elle ne fait qu’en rajouter d’autres. Et surtout, elle ne nous rendra jamais ce qu’elle nous a fait perdre.
Je termine sur une note optimiste :
l’agriculture paysanne peut nourrir la planète, pas besoin des OGM ( O. De Shutter, rapporteur de la commission Alimentation à l’ONU – janvier 2014) . On peut proposer des solutions simples :
- réemployer du monde en agriculture paysanne,
- laisser aux paysans le soin de sélectionner eux-mêmes leurs semences comme ils l’ont si bien fait de partout et depuis des millénaires, c-a-d retrouver le temps long,
- retrouver le temps long aussi en refaisant des sols de partout , c’est à dire en refaisant de l’humus qui a l’immense avantage d’être une éponge pour l’eau et un puits de CO2, gaz à effet de serre puisque les molécules humiques sont de très grosses molécules carbonées : pas besoin d’OGM pour résoudre les problèmes climatiques à venir.
Je dis retrouver le temps long car sur notre convocation au tribunal, il m’est reproché d’avoir retardé des essais. Oui, j’espère avoir retardé un peu la dépossession du vivant, de nos libertés et de nos pensées qui nous est faite. J’espère encore que nous retrouverons le temps long, le temps de la vie et le SENS de la vie.
Et puisque l’on ne nous entend pas, nous n’avons plus qu’à désobéir. Ne rien faire est impossible si nous voulons rester digne. Désobéir est devenu un acte d’humanité face à l’inhumanité qui pourrait nous attendre.
Annick Bossu
Les faucheurs ont été relaxés en première instance et il n’y a pas eu de suite.