L’engagement du scientifique est bien à sa place dans la lutte pour écarter les visions sommaires issues de la communauté scientifique qui se sont installées dans la culture commune et qui en retour constituent un socle idéologique pour favoriser certaines recherches. C’est typique et connu pour la « métaphore informatique » de la biologie de synthèse, mais il faut y revenir sans cesse.
La découverte de la double hélice par Watson et Crick en 1954, et leur habileté à présenter les séquences des quatre bases adénine, thymine, guanine, cytosine, avec le vocabulaire de l’information furent reçues par les médias comme si toute la biologie pouvait se réduire à la chimie, un bouleversement historique en faveur du positivisme. Ce rêve réductionniste est encore largement présent aujourd’hui, généralement sous des formes moins ambitieuses.
Cette interprétation informatique revient à dire a) la structure de l’ADN est un code, b) ce code a le rôle de programme informatique, c) il fournit donc les fonctions de la vie. Par exemple on lit aujourd’hui encore sur wikipédia « L’ADN contient toute l’information génétique, appelée génotype, permettant le développement et le fonctionnement des êtres vivants. »
Déjà de quelle information parle-t-on ? Et que désigne le terme information ? Même si les média entretiennent souvent la confusion, information ne signifie pas connaissance, elle est toujours, sous toutes ses variantes, une tentative de quantification du savoir. Il y a plusieurs façons de faire. Voir sur ce blog En quoi le savoir n’est-il pas l’information ?
Ici la métaphore en question présente l’ADN comme un code source, sorte de système d’axiomes, qui fournit le programme et donc les fonctions de l’être vivant.
Mais la lacune grave de cette façon de penser est qu’on n’est pas du tout dans le cadre informatique à cause du contexte. Pour deux raisons qui constituent deux immenses domaines de préoccupation.
En premier lieu les synthèses naturelles à partir de l’ADN se passent dans l’environnement biochimique de la cellule puis l’embryogenèse et le développement de l’individu ont lieu dans des contextes successifs dont la particularité essentielle est qu’ils ne sont pas descriptibles par une combinatoire arithmétique telle que le cristal qu’évoquait Schrödinger dans What is life ? Ni même par quelque modélisation dans Rn.
Et second volet, ce contexte est lui-même produit par la vie. Il a évolué selon des principes dont nous ignorons les contextes successifs. Il y a une historicité fondamentale dans le vivant biologique qui se double d’ailleurs d’une historicité de la technique qui accompagne l’espèce humaine.
La grande question qui constitue le tournant du dernier tiers du 20ème siècle est que le contexte actuel, nous apparaît extrêmement vulnérable. Et particulièrement sensible à des sollicitations chimiques qui ne suivent pas le trajet historique des mutations de l’ADN telles qu’elles ont lieu en place dans les écosystèmes mais artificiellement réalisées dans la recherche confinée des laboratoires puis dispersées volontairement ou par mégarde dans la « nature ». En fait nous ne savons rien de ce qui peut se passer lorsque des OGM ou des molécules de synthèse sont lancées dans l’environnement.
Pour faire comprendre l’importance du contexte je proposerais une petite analogie fondée sur le fait que le langage est un contexte pour la signification des mots, cette analogie ne vaut que par l’ouverture philosophique qu’elle amorce.
Je considère le mot indormation qui est information où on a changé le f en d. Le radical dorm rappelle dormir, de sorte que ce terme nouveau pourrait vouloir dire « opération qui donne le sommeil ». D’un autre côté le mot dormition existe et désigne en théologie chrétienne « une mort sans souffrance de certains saints ». Donc notre « OGM » indormation peut aussi être considéré comme un modifié-augmenté de dormition. Maintenant le nom de domaine indoormation.com existe sur Internet. Etc.
On voit que tout dépend du contexte, la fonction c’est du sens, l’OGM agit dans un contexte et perturbe ce contexte, et comme dans le cas du contexte naturel nous ne le connaissons que très mal, nous ne savons pas les effets de notre nouveau germe.